SGTT Printemps 2010 – Vous vous acharnez sur votre appareil photo. Quand on vous demande ce que vous photographiez, vous souriez et montrez les quelques mots écrits à la main sur les étagères : "Voir des mots vietnamiens, ça m'émeut..." Ému, car vous vous tenez au milieu de Paris, dans une boutique nommée "Thanh Bình Jeune". Pourquoi "jeune" ? C'est l'histoire d'une lignée...

Avec un accent saïgonais doux et un vietnamien fluide, Ngô Minh Đường, propriétaire de Thanh Bình Jeune, raconte que ses deux parents – Ngô Văn Nhân et Ngô Thị Hằng – étaient du Nord du Vietnam et avaient émigré au Sud avant les Accords de Genève. Terre propice attire les oiseaux, son père devint l'un des plus grands entrepreneurs de Sài Gòn, ayant construit l'aéroport de Tân Sơn Nhất au début des années 60.

Changer de voie et poursuivre l'héritage

En 1968, l'entrepreneur décida de partir une seconde fois, emmenant toute la famille en France et commençant un commerce alimentaire asiatique à partir d'une petite boutique de quelques dizaines de mètres carrés sur la place Maubert, dans le 5e arrondissement de Paris. La marque Thanh Bình – du nom de l'une de leurs filles jumelles – s'est rapidement développée, étant sans concurrence. "Grâce à la dévotion totale de nos parents", plaisanta Thanh Bình. Son jeune frère Minh Đường ajouta que leurs parents partageaient non seulement le même village d'origine et le même nom de famille, mais aussi les mêmes valeurs. "Ils sont décédés la même année." Leur manière affectueuse de parler de leurs parents révèle la chaleur d'une famille vietnamienne traditionnelle.

Leur père ayant été entrepreneur, Minh Đường fit des études d'architecture, mais après l'obtention de son diplôme, il choisit d'aider ses parents à gérer la marque. Il raconte qu'avant de mourir, ses parents avaient partagé leur héritage : Thủy Bình garderait Thanh Bình l'ancienne, et Thanh Bình Jeune serait pour Thanh Bình (la fille) et lui. Thanh Bình Jeune possède aujourd'hui trois sites, dont celui au 20 Avenue Verdun 94200 Ivry-sur-Seine, très célèbre. Non seulement pour ses 3.700 m² dont plus de 80 % sont consacrés à des produits vietnamiens, mais aussi pour ses foires du Tết organisées chaque année, avec artistes et chanteurs vietnamiens renommés. Minh Đường avoue que ces foires sont toujours déficitaires, mais la famille veut maintenir l'esprit du Tết pour les Vietnamiens, surtout pour "les enfants" – les clients futurs de Thanh Bình.

La fourmi et le charançon

"Purement asiatique" est le slogan affiché de Thanh Bình Jeune, mais son véritable objectif est plus profond : purement vietnamien. Pour cela, pendant plus de 40 ans, patiemment et diligemment, cette famille a ramené ici les douceurs et saveurs du Vietnam. Au-delà du bénéfice commercial, Thanh Bình Jeune s'est donné la mission de promouvoir les produits vietnamiens en Europe, à commencer par le riz, pour concurrencer celui de Thaïlande devenu de moindre qualité. Après un long voyage de dégustation au Vietnam, Minh Đường choisit le riz ST5, moins parfumé que le riz thaï mais très sucré. Thanh Bình Jeune en commanda en grande quantité, prépara de beaux emballages. Hélas, les vingt premières tonnes importées étaient infestées de charançons, à cause d'un traitement de désinfection défectueux. Il fallut les renvoyer au pays pour retraitement, mais les procédures mal gérées rendirent les ambassadeurs de Thanh Bình inquiets. Ils décidèrent de liquider à perte au Vietnam plutôt que ternir l'image du riz vietnamien à son premier lancement européen.

Mais la réputation fut tout de même écorchée. Plus récemment : après des années d'achat de poisson basa congelé via un fournisseur fiable, Thanh Bình Jeune testa un autre fournisseur. Résultat catastrophique : huit tonnes retournées par les clients, surtout africains. Motif : poisson ramolli à la décongélation car trop injecté d'eau ! Thanh Bình Jeune doit maintenant supporter ces marchandises frauduleuses, reflet de la mentalité à court terme de certains producteurs vietnamiens. Cela dit, tout n'est pas négatif : les plats préparés congelés, les nouilles, bonbons, cafés vietnamiens se vendent très bien.

En plus des aliments traditionnels – que l'on appelle avec humour "le commerce de souvenirs" – presque chaque nouveauté culinaire au Vietnam se retrouve peu après chez Thanh Bình Jeune. Je me souviens avoir connu les galettes de riz grillées au porc séché, les gâteaux frits... chez eux il y a bien longtemps, avant même le Vietnam.

Je connais cette famille depuis 1990, lors du Festival de Nantes avec le film Gânh xiếc rong, à l'époque où Thủy Bình gérait le stand culturel de la Maison du Vietnam à Paris. Ils sont restés mes spectateurs lors des sorties de Chung cư et Mê Thảo. Quant à moi, friand de cuisine vietnamienne, je suis leur client régulier. Je connaissais et appréciais leurs activités caritatives, mais j'avoue qu'au début leur boutique ne m'impressionnait pas : comparée aux supermarchés chinois, elle semblait désorganisée, pauvre en marchandises, peu accueillante... Mais depuis deux ans, Thanh Bình Jeune a changé : plus de choix, ordre, accueil chaleureux. Les produits culturels – récents et de qualité – disposent d'un bel espace d'exposition, devenant une adresse incontournable pour acheter les journaux du Tết. Avec leurs services touristiques, Thanh Bình Jeune est un pont qui introduit la marque Vietnam en Europe.

J'ai demandé à Minh Đường qui poursuivra ce pont une fois les enfants partis vers d'autres carrières. Minh Đường répondit qu'il envisageait de recruter des "étrangers", notamment parmi les étudiants travaillant en boutique, pour assurer la succession. Qui que ce soit, proche ou étranger, je souhaite à Thanh Bình Jeune prospérité. Car plus qu'un commerce de spécialités, c'est une fierté pour de nombreux Vietnamiens en France...